Compte tenu des incertitudes liées à la date du déconfinement, nous avons dû renoncer à maintenir notre Assemblée Générale le 9 juin 2021.

La nouvelle date a été fixée au 12 octobre 2021 en accord avec Monsieur Jean-Marie Delarue, dont la conférence  « L’enfermement, une idée “tendance” pour des effets décevants » suivra l’Assemblée.

L’Assemblée Générale s’est tenue à 19h, la conférence à 19h30.
A l’ordre du jour  :
le rapport moral,
le rapport de gestion
les comptes.

Compte-rendu de la conférence par Nicole Bériou, Présidente de l’Association :

Monsieur Jean Marie Delarue, Conseiller d’État, nommé en 2008 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, puis en 2013 membre du Conseil consultatif national d’éthique, avait accepté en 2020 de nous donner une conférence sur le thème de l’enfermement. La crise sanitaire nous a contraints à y renoncer et à nous contenter d’une assemblée générale sans le programme habituel qui lui associe une conférence sur un thème d’actualité, souvent en lien avec les ressources de la bibliothèque du Saulchoir. Fort heureusement, cette conférence a pu être organisée cette année avec un certain décalage dans le temps, et Monsieur Delarue a eu la grande courtoisie de renouveler son engagement envers nous auprès de M. Jean-Pierre Duport, qui l’avait déjà sollicité au nom du Conseil d’administration de notre Association en 2020 et qui a bien voulu l’introduire.

L’enfermement, c’était bien sûr, concrètement, la prison que recouvrait ce terme, comme le suggérait l’image choisie pour l’affiche, montrant un « arrivant » dans un centre pénitentiaire. La carrière de M. Delarue lui permet de connaître intimement ce sujet difficile et complexe, qui nous concerne d’autant plus que nous sommes revenus, au plan du taux de détention qui a connu un réel decrescendo de 1840 à 1975, à la situation bien plus tendue des années 1880. Il a choisi de nous en parler dans la perspective indiquée par son titre : « L’enfermement, une idée tendance pour des effets décevants ». Se plaçant résolument dans la perspective des réflexions conduites au sein des sciences humaines et sociales, il a dressé un panorama à la fois quantitatif et qualitatif, centré sur la France et ouvert sur la comparaison avec les autres pays d’Europe. Il a d’emblée annoncé qu’il nous donnerait, ce faisant, l’expression de son point de vue, non seulement sur l’institution de la prison, sa structure et ses fonctions dans la société, mais aussi sur les hommes qui sont amenés à y entrer, à y séjourner, et à y exercer leur activité professionnelle.

Une première partie de sa conférence était consacrée à la vie carcérale. Il nous a fait suivre le parcours type d’un « entrant », l’expérience quasi-immédiate et continue du dénuement qui lui est imposé (vêtements et autres objets personnels, liens familiaux, réduction de la désignation au seul nom propre, sans prénom ni usage du terme « Monsieur » ou « Madame »). Il a souligné le défi qui en résulte, contraignant le prisonnier, pour survivre, « à se faire tout petit » dans sa relation avec autrui. Il a aussi mis l’accent sur le phénomène massif de l’hospitalisation sous contrainte, qui s’est accrue de 141% entre 2012 et 2019. Tout aussi révélateur a été le discours qu’il nous a tenu sur le personnel, qui doit trouver un équilibre de vie dans un métier exigeant et parfois imprévisible.

Insistant ensuite sur la fonction double de la prison qui est la punition et l’amendement, il a constaté à quel point la première tend aujourd’hui à prendre le pas dans les esprits et les conduites sur la seconde, autant que les indicateurs permettent d’en juger. L’indicateur de « l’efficacité » du régime pénitentiaire que constitue le taux de récidive (pour les sorties de 2010 en France, le taux de « réitération » est de 31%) n’est pas encourageant mais peut-être pas non plus suffisant pour un bilan clairvoyant. De ce point de vue, l’exemple de prisons anglaises dans lesquelles la statistique est faite par établissement mérite attention par la solidarité attendue du personnel qu’elle implique pour obtenir un résultat durable après la sortie de prison. L’aménagement des peines par l’application du régime de liberté conditionnelle apparaît comme le meilleur moyen d’accompagner  un retour progressif à la vie sociale « ordinaire ». Encore faudrait-il mieux suivre dans la durée le devenir des « sortants », et mesurer les ravages de longue durée produits par l’expérience carcérale : les uns « ont la haine », beaucoup d’autres en ressortent à jamais « brisés ».

Les conditions de vie en prison ne facilitent pas autant qu’il le faudrait – c’est une litote ! –  l’éducation à la responsabilité, sans laquelle l’amendement est impossible. Par ailleurs, « l’inquiétude sécuritaire » qui parcourt notre société depuis quelques décennies « n’a jamais sans doute été aussi vive ».  Cela ressemble fort à une « spirale sans fin », dans laquelle l’attente du « châtiment public » tend à l’emporter sur tout le reste, et avant tout sur la nécessité d’ouvrir l’horizon des prisonniers vers un avenir à construire. Du moins, en prendre conscience est-il le premier pas pour tenter de changer les choses. Il est des prisons où le personnel et la direction sont remarquables de ce point de vue. Dans notre société, les plus conscients sont par ailleurs les membres des associations qui travaillent sans relâche à la réinsertion par une présence intelligente et respectueuse des personnes, très appréciée au sein des prisons, comme l’a indiqué M. Delarue en réponse à l’une des nombreuses questions qui lui ont été posées au terme de son ample conférence.

Nous remercions vivement M. Delarue de nous avoir ainsi consacré de son temps et partagé son savoir pour nous sensibiliser avec compétence et doigté à cet univers qui nous concerne tous. Les conditions imposées par la pandémie nous en ont en quelque sorte rapprochés, par l’expérience de l’enfermement dont la plupart d’entre nous ne soupçonnaient pas auparavant les contraintes, et surtout par la radicalisation de l’enfermement de nos anciens dans les Ehpad, où les visites se sont trouvées interrompues et la solitude s’est avérée désespérante pour beaucoup de ceux qui y sont hébergés. En se gardant de tout simplification susceptible d’engendrer de la confusion,  il me semble que nous étions encore plus prêts qu’en 2020 à entendre ces vérités dont nous a entretenus M. Jean Marie Delarue.

La bibliothèque du Saulchoir met à la disposition de ses lecteurs maints travaux sur l’enfermement. Elle ouvre à des comparaisons suggestives si on veut bien songer un instant que les réflexions autour de la « naissance du Purgatoire » au Moyen Âge, initiées par le regretté Jacques le Goff, apportent mutatis mutandis un éclairage appréciable à propos du regard porté en d’autres temps et d’autres contextes sur un enfermement lui aussi provisoire, car le purgatoire est fait pour en sortir comme le rappellent, dans la Commedia de Dante,  les ailes couleur d’espérance des anges qui viennent y chercher les « purifiés » pour les conduire au paradis…  On ne saurait trop recommander enfin, et en tout premier lieu, la consultation du livre récent de M. Jean-Marie Delarue, En prison : l’ordre pénitentiaire des choses, Dalloz, 2018. Cette somme est un ouvrage de référence majeur, appuyé sur une expérience et des dossiers, et surtout sur une analyse sensible, qui en font tout le prix et dont il nous a donné la quintessence dans sa remarquable conférence.